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Extraits de Récits, partitions et photographies, éd. La Passe du vent, 2007

 

 

    H.

 

Il est étrange l’arbre

là-bas,

comment ça s’appelle,

dit H.

si tu ouvres la fenêtre

vers cinq heures

du mat, tu verras

un type

qui rôde autour,

fait sa vidange,

puis encore fait le tour

comme pour chercher

quelque chose

puis gare ensuite

ses fesses sur le banc

à côté. Et c’est tous les jours

comme ça.

 

Rictus dilaté

par la peur,

sorte de sourire dévié.

Visage antique

à hauteur de non-sens :

comme épaisse

hétérogénéité, brune

foncée ou surface

criblée de balles.

Boutons noirs

et trous sourds

de toutes les tailles.

En diagonale, une cicatrice

marque un vieux

litige avec le monde.

La tête de ma mère, il est

étrange et barge cet arbre

qui pond chaque nuit

un mec pour pisser

sur sa tranche.

 

Tu vois le paquet de Camel,

y a quoi sur le paquet

de Camel,

y a un chameau,

et si tu vois bien entre

les deux pattes derrière

verras un type en miniature

qui pisse. Et c’est pareil.

Toutes les nuits. Toutes

les nuits, je le vois, ça

me réveille putain

et je dors pas loin. Et

j’arrive pas à piger.

Ma moelle atteint

les quatre vingt piges

dans un corps de trente cinq.

Et le ciel tout entier

s’engage à gauche

puis s’efface.

Je suis être sans ciel.

 

Sur les murs, des fenêtres

suspendues

frôlent le chaos.

Deux pigeons

au ras de nos têtes

s’envolent ta ta

tel un éclat de rire

affolés par une pluie

de miettes

puis se posent sur la route.

Sur l’un d’eux, parmi

les plumes blanches

jaillit une queue à

dominance de gris.

C’est une femelle qu’ils

viennent de rap

porter ici

pour sur

peupler les toits

de merde, de

résonances et de

funèbres arômes

dit H.

Fausse vie, roucoule !

Et la vie fausse

rou

coule

entre les dents et sous

les dents

mauves de barbus

qui, semble-t-il, assiègent

le rêve de toutes parts.

Je les ai vu

une fois encore

je monte je monte

les escaliers, la porte ouverte

entr’ouverte en plein nuit.

Et l’étincelle.

Ils chauffent les lames.

Le tintement et le marteau

le chalumeau et les épées

et construisent le plan d’une ville

sainte

en fonction des projectiles.

 

La lumière maintenant

écume verte

le vent toupie

qui décrit

des tournoiements de poussières

et d’idées durcies

par dessiccation

l’immeuble brandit

une pancarte

sur le toit

parmi les miroirs

paraboliques des antennes

où convergent

les fantasmes et les nerfs

splanchniques

la rue s’évase

dans une démarche de femme

le tout secoué par un

crachat de H.

au milieu d’une phrase.

 

 

 

 

 

 

             Simple péripétie

 

 

 

Le matin, une solitude

descend du plafond

jusqu’aux meubles.

 

La conscience passe.

 

Il  avait trouvé

en bas des escaliers

une serrure neuve

des clous étalés

comme des virgules

et un hasard objectif

dans une pellicule photo

humide.

 

La vieille voisine

aux trois cancers

sous la peau

amenait son chat

déguster des boules

marrons

sous une r4 rouge.

 

Un souffle grimpe

une échelle

assortie au poumon.

 

Nuit.

 

Le cœur sursaute

à chaque

chute de feuilles

l’ombilic retentit

par intermittence

 

à des nœuds de gaz

au-dessus de l’immeuble.

 

La lune est un téton

en silicone

de vieille vache

pendant au-dessus du toit

les fenêtres en

perpétuelle contraction

et les balcons des greniers

ouverts, avides

de choses

hétéroclites.

 

Et même le bus

quand il arrive

à la station d’en face

il prend la forme

de ce qui provoque

l’angoisse-

une inquiétante étrangeté

enflée d’où

entrent et sortent

des cubes et des

morceaux de scènes

humaines.

 

La forme passe, mais

l’étrangeté reste

un moment, fumée

grise, presque

familière au lieu, avant de

disparaître

puis

 

réapparaître

au passage suivant

du bus.

 

Le lieu

semble guetter en lui

une nuance secrète

et adverse

suspectus, unheimlich

uncanny, siniestro

shaytânî et aah ! de toute

façon, et quoique

 

J. s’allonge

sur son lit hivernal

et à côté de lui

la vie aussi s’allonge

comme un tissu

avec des tâches de

malchances, d’obsessions

d’illusion de lutte

et de simples péripéties.

 

(Pourtant

un rêve subsiste

parmi les orangers.)

                     

                

 

                        Mémoire de guerre

 

Tous les jours,

à 9h16 sur le quai J

des wagons enchaînés

passent

dans un rythme régulier

 

portant des troncs d’arbres

gigantesques,

eux-même portant

des chiffres et des lettres

renversés

en rouge et vert.

 

Une fille se pointe

avec un vélo

et un manteau léger

de couleur beige

qu’il fasse chaud ou froid.

 

Son regard est concentré

sue l’autre rive du quai,

droit et statique

comme celui des aveugles.

 

Onze piliers numérotés

de 7 à 18

couronnés

de vieux panneaux identiques

 

« attention au pilier »

 

et de barres à franges métalliques.

 

Sur l’un d’eux,

une inscription confuse,

je déchiffre 1942

et plus loin, à gauche,

à la main,

1982.

 

Les toits descendent leurs pentes

lentement

comme pour éviter

que les tuiles, déjà brunies

et ourlées de mousses

vertes et mélancoliques,

ne se dégringolent-

ce qui n’est guère improbable-

et descendent,

alignés,

reliés par un trait  de fer gris,

formant un demi cercle

où ces mêmes tuiles

convergent

dans un mouvement

de perspective inachevé

vers moi,

qui suis sur le quai,

à côté de la fille à vélo.

 

Les arcades accusent un air

d’effritement et d’usure.

 

Aujourd’hui à 9h16,

les wagons passent

avec d’autres sculptures

éphémères,

 

la fille se pointe,

le manteau plié, déposé

sur le guidon du vélo,

les yeux baissés,

sur l’autre rive.

 

La silhouette,

que pour la première fois

je vois,

hors manteau,

mince et presque plate,

telle un carton étiré

par un fil invisible,

paraît annoncer

ouvertement

une substance évasive,

une maladie,

ou simplement

une singularité anatomique.

 

Un grand rideau

en plastique gris

avait effacé l’arrière plan du quai.

 

 

 

                            Le café

 

Le café est bondé.

 

Quelques verres trinquent

laissant glisser

sur leurs joues

une idée

de ce que peut être

un vaste ennui.

 

Des vieilles tables

en faux bois marron

imprégnées

d’une odeur obscure-

tabac, souffre,

aisselles ventilées de crasse.

Un bruit de bouffons,

de soldats et de retraités

à la gueule rougeâtre

sur fond de musette

s’arrête afin de marquer

la présence de mes pas

anonymes sur le seuil

d’entrer.

 

Musette continue

lentement

tel un moulin qui se rétracte.

Tandis que figés

les regards pour élargir

la distance

entre ce que je suis

et les mailles du filet où

le lieu.

 

Aucun souffle féminin.

 

Un homme

s’amène à moi,

coiffure militaire,

grosse ceinture

affichant un aigle royal

et un minuscule tatouage

intégré dans les veines

visibles du dos de la main :

 

Je n’ai jamais

changé de place, moi- dit-il,

et je mets que des tee-shirts blancs

 

été et hiver

                                                                                

Au plafond,

mon œil se courbe

jusqu’à

ces peaux de sangliers

et ces divers instruments

sourcilleux,

puis

détournant la photo

d’un Eden tropical insolant

sur le mur

et sautant à l’extérieur où

 

déjà s’adoucit

une allée de hêtres

par une démarche de femme- et

 

une voix off

structure les espaces.

 

Le poème,

sans souvenir

de ce qui l’a fait être,

regarde son ombre

quitter la chaise

comme dans un vieux film

de Dreyer.

 

La pluie,

dans un acte solidaire,

sans pathos,

commence à strier

la lumières des réverbères.

 

                       Jérusalem

                                                  à Sapho

 

Deux quartiers de lune séparés par un fil de sang, lui-même entortillé étrangement autour d’un vide.

 

Ainsi le vide. Bien vertical. Pourtant la spirale le remonte, comme on remonte un gène.

 

(Il faut penser au schéma abîmé d’un adn).

 

Une vieille parenté vire vers un vert pâle.

 

A gauche comme à droite, le chiffre 1, partout dédoublé et planté, rehaussé d’une espèce de chapeau en ciment ou métallique. Tombeaux, vestiges, murs, lucarnes, invocations, emplis de fantasmes. Panneaux d’interdiction. De temps à autre, le ciel, sinon un brouillard

 

le long de soi

avec chars et ailes de pierres.

 

Allongé dans mon lit, je vois au bout de la fenêtre : Des branches sèches- juste le haut des branches fines et nues.

 

Il y a sans doute tronc, racines et tartre derrière, à moins qu’un artifice les a collées au dormant de ma vue.

 

Peu importe.

 

Il y a ce que je vois et ce que je ne vois pas. Mais depuis quelques heures déjà, la voix d’une femme m’est devenue amicale.

Un air aussi nu que les branches le traverse, mélodieusement, dieusement.

 

Dehors,

une radio grésille et  crache la même nouvelle:

On a fourré la ville, entièrement, ouest et est dans une cartouche balistique.

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